Anti-tempête

Conception et écriture, violon et chant Tony Melvil, compagnie Illimité – jeu, chant, percussions Anne Frèches – guitare, chœurs Thomas Demuynck – mise en scène et dramaturgie Didier Cousin – vu au Café de la Danse le 6 juin 2023 – à voir, du 7 au 28 juillet 2023 à 9h45, au Festival d’Avignon, Présence Pasteur.

© Simon Gosselin

L’idée du cercle lui est venue de son travail en milieu carcéral, de la discussion et des chansons qu’il partageait avec les détenus, placés en cercle autour de lui, raconte Tony Melvil, chacun cherchant comme un refuge intérieur. Ébranlé par ces rencontres il a gardé l’idée du cercle pour ce spectacle où il fait cohabiter musique instrumentale, textes parlés et chantés, manipulation d’objets. Il a fait construire une charmante structure circulaire en bois de cent-vingt places. Au centre une installation scénographique, ludique, descend du plafond, avec son petit bric-à-brac plein de miroirs, d’attrape-rêves et de poésie. Au cœur du dispositif, la souche d’un vieil arbre permet aux acteurs-musiciens de faire une halte et de reprendre souffle. Et chacun plonge en soi comme autour du feu de la veillée, faisant une pause dans la folie du quotidien.

© Simon Gosselin

Le spectateur est accueilli à la bonne franquette par Anne Frèches, maîtresse de cérémonie à la gouaille charmeuse, plume rouge dans les cheveux, pantalon rouge. Elle invite chacun à prendre place et à s’emparer du petit boitier posé sur son banc, sorte de métronome, compteur et objet rituel à la fois qui oblige le spectateur à l’état de veille, car il le fera chanter au moment m, au lieu d’applaudir. Joli et astucieux ! C’est la marque de fabrique Tony Melvil. On le comprend quand il apparaît telle une créature tombée du ciel et guidée par la maîtresse de cérémonie. Il s’adresse au spectateur sur la notion du lâcher-prise et invite à chasser les pensées négatives, avant de raconter pourquoi il a choisi le violon quand il était enfant et quels sont les thèmes de ses chansons, parmi lesquels l’enfermement, la guerre, la vieillesse, l’absence…

Et l’on entre dans ses compositions pour violon et voix car Tony Melvil joue et chante à la fois, accompagné de Thomas Demuynck à la guitare folk. À certains moments, l’actrice, telle une luciole sur le plateau, chante et joue du tambourin. Parfois, le violon se fait incisif et devient diable. « Tout se tord quand vient le vent… Au-delà du mauvais temps voyez-vous Cet abri contre le vent ? Au-delà des idées courtes voyez-vous Cet endroit loin de la route, au bout ? » Le chanteur-musicien s’interroge sur lui-même, à voix haute et cherche le positif pour qu’il fasse contagion. « À l’hiver succède toujours le printemps. » Il pose la question de la vie dans son âpreté et sa douceur, son ironie et sa tendresse, sa provocation et sa déraison. Il parle du tricot de sa grand-mère et de carder la laine, de la nature, des paysages d’altitude, de l’océan « tour à tour tempête ou miroir, en surface, mais toujours paisible en profondeur… » Le métronome suspend sa pensée, comme un refuge Anti-Tempête. « Quand le courant m’entraine je plonge au plus profond. Adieu les saisons où tout est stable, immuable… » Il évoque le symbole d’Ouroboros, ce serpent qui se mord la queue formant un cercle et tournant en rond sans sortie de secours, symbole présent dans toutes les cultures, de l’Égypte au gréco-romain. D’Égypte, il salue les Pyramides, Gizeh et Saqqarah. « J’ai traversé les océans, je me souviens de tout, du moindre rendez-vous… » Il parle de la ligne chromatique en demi-ton, quand il rêve.

© Simon Gosselin

Dans la dernière partie du spectacle, Le souffle vital, on s’enfonce dans le baroque et la théâtralisation avec un solo de la maîtresse de cérémonie portant des ailes d’épervier, ou des ailes d’ange, et grimpant au centre du tableau, prête à toucher le ciel. « J’ai peur de ce que j’ai dans la tête… » Tony Melvil porte un couvre-chef élaboré de feuillages – lierre et fougère – et de cornes d’animaux mythiques, mi-camouflage mi-extravagance, un peu homme des bois. Thomas Demuynck, porte un chapeau à poils. Muer, à quoi bon ? chante-t-il en duo : « J’ai tant voulu changer de peau Me muer en héros Rejouer la scène Et briller, briller sans peine J’ai tant voulu changer de nom Mais muer à quoi bon Changer de frontières Changer de prison… Quand à la surface La tempête menace Je plonge au fond de l’eau… »

© Simon Gosselin

Anti-tempête est un spectacle tendre et sauvage, un peu minéral, dans lequel il y a de l’enfance, du jeu dans le jeu, de la spontanéité en même temps que de l’élaboration. À la fin, la structure scénographique se met à tourner comme un manège et porte ses sonorités acoustiques et ses vibrations, comme un rêve après lequel chacun court. Tony Melvil propose un moment musical chaleureux qui aide à « plier sans rompre » comme le chêne et le roseau auquel il fait référence, qui aide à encaisser les coups. Il est une digue face au gros grain de la vie et, entre force et fragilité, enveloppe le spectateur dans son 360°, là où se perdent les références. Il a fondé en 2011 la Cie illimitée, a sept albums à son actif et pour que sa chanson, sensible, se ressource, puise du côté du spectacle vivant, de la littérature et de la poésie. C’est un joli pari, fort réussi.

Brigitte Rémer, le 25 juin 2023

Avec la compagnie Illimitée : Tony Melvil violon, chant – Anne Frèches jeu, chant, percussions – Thomas Demuynck guitare, chœurs – mise en scène et dramaturgie Didier Cousin – scénographie, collaboration à la mise en scène et à l’écriture Elodie Ségui – composition, arrangements Tony Melvil, Thomas Demuynck et Jean-Bernard Hoste – direction musicale Pierre Marescaux – lumières et régie générale Vincent Masschelein – costumes et accessoires Mélanie Loisy – son Olivier Duchêne – regards extérieurs Arnaud Vernet et Julien Galardon – regard chorégraphique Pascaline Verrier – constructions Jean-Marc Delannoy, Sébastien Faszczowy, Raymond Rushforth, Julien Belon – chargée de production Clotilde Fayolle (L’arrière cuisine) – Tout public à partir de 12 ans.

 Vu au Café de la Danse le 6 juin 2023 à 20h – Café de la Danse, 5 Passage Louis Philippe, 75011 Paris – métro Bastille – site : www.cafedeladanse.com/event/tony-melvil-anti-tempete-2/ – En tournée : Du 7 au 28 juillet 2023 à 9h45, Festival d’Avignon, Présence Pasteur,